Le Ministère de la Justice a récemment repoussé sa décision sur la reconduction de l’agrément d’Anticor au 2 avril 2021. Sans ce précieux sésame, l’association perd la capacité de se constituer partie civile dans les affaires d’atteintes à la probité.

Si l’Etat se montre tatillon à l’encontre d’Anticor, il n’en est pas de même pour une autre association de lutte contre la corruption : Transparency International France. En effet, un membre du Ministère des Affaires Etrangères figure parmi les intervenants à un webinaire consacré à l’indice de perception de la corruption (sur lequel nous reviendrons) le mardi 16 février 2021.

Certains ne manqueront pas d’adresser des reproches à Anticor, comme un certain biais politique ou un manque d’engagement sur certains sujets. Peut-être ont-ils raison. Cependant, il est intéressant de constater un certain deux poids deux mesures, et de tenter de l’expliquer en regardant d’un peu plus près ce qu’est Transparency International France.

Pour cela, dans cette série de trois articles, nous allons tout d’abord revenir un an en arrière, aux élections municipales, avant de nous intéresser à Transparency International puis enfin à sa section française (TI France). Et autant vous dire que ça va aller crescendo.

Retour sur les éléctions municipales de 2020

Dans le cadre des élections municipales de 2020, Anticor et TI France ont rédigé des chartes de transparence. Si plusieurs partis politiques avaient intégré tout ou partie des trente propositions d’Anticor dans leurs programmes, ce n’était pas le cas de La République En Marche, dont la liste « Ensemble Vivons Versailles » avait préféré s’engager à respecter les six propositions de TI France.

Les tableaux ci-dessous présentent un comparatif des deux chartes par thèmes (indiqués dans la légende sous chaque tableau).

AnticorTransparency International France
Avoir un maire qui n’exerce ni mandat départemental, régional ou national, étant entendu qu’il n’effectuera pas plus de deux mandats consécutifs.
Moduler le montant des indemnités allouées aux conseillers municipaux en fonction de leur participation effective aux séances plénières.
Disponibilité des élus

AnticorTransparency International France
Mettre en place des mécanismes de détection des conflits d’intérêts afin d’indiquer, avant chaque séance plénière, les élus qui doivent se déporter.Mettre en oeuvre un registre public des déports.
Désigner un référent déontologue (obligatoire sauf pour les communes affiliées à un centre de gestion).
Développer des formations déontologiques adaptées aux risques propres de chaque service municipal.Mettre en place un plan de prévention de la corruption.
Interdire aux élus et aux agents publics d’accepter tout cadeau ou avantage d’une entreprise.
Prévention des conflits d’intérêts

AnticorTransparency International France
Permettre aux élus minoritaires d’exercer leur droit à la formation, à l’information et à l’expression.
Proposer la vice-présidence de la commission des finances à un élu minoritaire.
Associer les élus minoritaires aux phases de négociation prévues dans les procédures d’attribution des marchés publics et des concessions.
Associer les élus minoritaires à la désignation des membres non élus de la Commission consultative des services publics locaux.
Élargir le droit à la protection fonctionnelle à tous les élus, même ceux n’ayant pas reçu de délégation de l’exécutif.
Reconnaissance du rôle des élus minoritaires

AnticorTransparency International France
Rendre publique l’assiduité des conseillers municipaux aux séances plénières.
Appliquer l’open data par défaut (obligatoire dans les communes de plus de 3 500 habitants et disposant d’au moins 50 agents).Publier en « open data » des jeux de données et documents administratifs lisibles par les citoyens.
Mettre en ligne les documents communicables les plus importants : délibérations, arrêtés réglementaires, comptes-rendus des séances plénières, rapports des concessionnaires, rapports annuels sur le prix et la qualité du service, observations de la chambre régionale des comptes, etc.
Suivre sans délai les avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA).
Mettre en ligne le montant des indemnités perçues par chaque conseiller municipal.Publier le montant cumulé de l’ensemble des indemnités perçues par les élus.
Mettre en ligne la liste des bénéficiaires de logement ou de voiture de fonctions.
Mettre en ligne le nombre et la rémunération des collaborateurs de cabinet.
Mettre en ligne les frais d’avocats engagés par la commune et les jugements rendus.
Transparence de l’action publique

AnticorTransparency International France
Nommer un référent alerte éthique (obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants).
Suspendre de ses fonctions exécutives tout élu mis en examen pour atteinte à la probité.
Retirer définitivement les fonctions exécutives à tout élu condamné pour atteinte à la probité.
Lutte contre la corruption

AnticorTransparency International France
Mettre en place une Commission de contrôle financier pour examiner les comptes détaillés des entreprises liées à la commune par une convention financière (obligatoire dans les communes ayant plus de 75 000 euros de recettes).
Encourager la formation des conseillers municipaux et rendre public le nom des organismes formateurs.
Créer une commission de suivi des contrats de la commande publique, qui examinera notamment leurs avenants et leurs contentieux.
Créer une commission de surveillance des dépenses liées à la communication, aux voyages, aux réceptions, aux frais de bouche et aux invitations.Mieux encadrer l’usage des frais de représentation des responsables d’exécutifs locaux et en assurer la transparence.
Contrôle de l’action municipale

AnticorTransparency International France
Mettre en place une Commission consultative des services publics locaux (obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants).
Associer la population aux décisions par le biais de consultations ou de référendums locaux.
Garantir l’expression de tous les points de vue lors des procédures permettant aux citoyens de s’exprimer.
Créer une commission d’éthique, notamment composée d’élus minoritaires et de citoyens, chargée de contrôler le respect des dispositions éthiques et de faire des préconisations.
Participation des citoyens aux décisions locales

AnticorTransparency International France
Publier les rencontres des décideurs publics locaux avec des lobbyistes sous forme d’agenda ouvert.
Encadrement du lobbying

Plusieurs éléments ressortent de ce comparatif.

La proposition de TI France « Mettre en place un plan de prévention de la corruption » pourrait recouvrir plusieurs propositions d’Anticor mais son contenu, basé sur la loi Sapin 2, est assez flou, ce qui rend la correspondance difficile.

Seule TI France propose un encadrement du lobbying. Plusieurs mesures d’Anticor pourraient cependant concourir à encadrer ces pratiques. Mais n’est-ce pas tout simplement l’objectif de Transparency que de légitimer les activités de lobbying? Ce que ne recherche pas explicitement Anticor.

De manière générale, la charte d’Anticor est bien plus riche et surtout bien plus précise que celle de TI France, qui énonce bien souvent des principes généraux.

TI France ne répond pas aux attentes des Français sur des sujets qui font pourtant l’objet de critiques de leur part : non cumul des mandats, limitation du nombre de mandats successifs, suspension en cas de mise en examen, démocratie directe… Notons d’ailleurs qu’aucune des deux chartes n’exige le casier judiciaire vierge pour les élus!

En adoptant les quelques engagements de TI France, LREM met une nouvelle fois en application son célèbre « en même temps » : s’engager mais sans prendre d’engagements trop contraignants. C’est ce que permet Transparency International.

Mais au fait, c’est quoi Transparency International ? Nous le verrons dans la deuxième partie de l’article.