Remarque préliminaire: je souhaite démarrer ce blog en partageant un texte rédigé environ 10 jours après le premier discours d’Emmanuel Macron sur la crise du coronavirus, le 12 mars 2020. Il s’agit d’un article que j’avais proposé à un blog mais qui avait été refusé car, à juste titre, il ne s’agissait pas d’actualité locale mais d’un sujet national. Il était donc resté au stade d’échanges privés par e-mail ou messagerie. Je le partage donc aujourd’hui dans une série de trois articles. Je n’y ai apporté que des corrections mineures sur la base de remarques pertinentes qui m’avaient été faites à l’époque, en veillant à n’introduire aucun anachronisme.

Après avoir présenté brièvement ce qu’est la stratégie du choc, voyons maintenant quelle est la situation en France, après quelques jours de confinement.

Les Français démunis face à l’épidémie

Agnès Buzyn annonçait au mois de janvier que le risque d’épidémie de COVID-19 en France était quasiment nul. Deux mois et demi après, force est de constater qu’elle avait tort. La situation est même préoccupante. Non seulement le virus est là, tuant actuellement plusieurs centaines de personnes chaque jour, mais en plus la situation semble hors de contrôle.

En effet, il n’y a pas assez de masques car le stock stratégique de la France a fondu comme neige au soleil suite à la décision de Xavier Bertrand, jamais remise en cause par ses successeurs, de ne pas les renouveler. Il n’y a pas assez de tests de dépistage mais le gouvernement refuse l’aide d’un laboratoire vétérinaire pouvant réaliser 1000 tests par jour. Il n’y a pas assez de respirateurs mais le gouvernement ne répond pas à une demande faite mi-janvier par des industriels qui n’attendent qu’une commande pour lancer la production. L’hôpital public est débordé mais le gouvernement ne réquisitionne pas le secteur privé, pourtant en ordre de bataille, dont les lits restent vides. Après deux mois de tergiversations puis de polémique sur la chloroquine, le gouvernement a passé un décret en catimini pour autoriser son utilisation à plus grande échelle mais la seule usine française habilitée à en produire est en redressement judiciaire et attend un soutien politique pour lancer la production massive.

La liste des erreurs illustrant l’incompétence de Macron et de sa clique est bien plus longue mais il apparaît que dans tous ces domaines deux mois ont été perdus.

Les Français, qui ont écouté le gouvernement et les médias aux ordres du pouvoir, ont d’abord pris la menace à la légère, tel le couple présidentiel allant au théâtre. Mais aujourd’hui, face à la progression de l’épidémie et à un discours passé brutalement de la légèreté à l’anxiété (la volte-face de l’insupportable Michel Cymès en est une parfaite illustration), les Français vivent dans la peur. Peur d’être contaminé et peur de perdre un proche, en particulier parmi les personnes âgées.

La population est traumatisée, le choc initial a bien eu lieu.

La réponse du pouvoir exécutif

Emmanuel Macron a pris la parole le jeudi 12 mars 2020 pour s’adresser aux Français. Un chef d’Etat responsable aurait annoncé un plan d’urgence sanitaire tirant profit des retours d’expériences asiatiques et italiens, avec un budget conséquent pour dépister et traiter afin d’isoler les personnes contaminées et de protéger les plus fragiles, à commencer par nos anciens. Un contrôle des frontières aurait pu être mis en place. Il n’en fut rien.

Macron, comme dans chaque intervention qui suivra, a eu l’outrecuidance d’encenser le personnel hospitalier, la police, l’armée, … Des professions qu’il passe son temps à détruire, des citoyens qu’il n’a de cesse d’appauvrir avec une politique d’austérité permanente imposée par Bruxelles et les Grandes Orientations de Politique Economique. En félicitant les agriculteurs mais aussi les petits commerçants, qui continueront à travailler pour faire vivre un pays confiné, il a d’une certaine manière remercié les Gilets Jaunes, qu’il a mutilés pendant plusieurs mois, « ceux qui ne sont rien » pour lui en temps normal. Le comble du cynisme.

« Nous sommes en guerre », appel à « l’union sacrée », menace du « repli nationaliste », etc. Cette rhétorique guerrière est de nature à renforcer le traumatisme, d’autant plus qu’elle a été massivement reprise et commentée par les grands médias. La menace est rendue d’autant plus effrayante que plane sur ce discours la menace d’un ennemi invisible, qui est partout et peut frapper n’importe qui, à tout moment. Cet ennemi effrayant semble ne pas pouvoir être combattu, sauf à prendre des mesures exceptionnelles, à imposer des grands changements dont beaucoup, a dit Macron, seront conservés. On retrouve le spectre d’un combat à durée indéterminée contre un ennemi invisible, prétexte à toutes les dérives, comme a pu l’être la lutte contre le terrorisme au lendemain des attentats du 11 septembre.

Mais bien qu’étant apparemment en guerre, les mesures annoncées ne semblent pas tourner l’activité du pays vers l’effort de guerre. Il n’est pas demandé aux usines de produire des respirateurs, à l’industrie textile de fabriquer des masques et des tenues, aux entreprises pharmaceutiques de produire la prometteuse chloroquine, au BTP de construire des hôpitaux de campagne partout sur le territoire. Il est vrai que ces secteurs ont été détruits par la désindustrialisation que permettent les traités européens, article 63 du TFUE en tête.

La loi d’urgence sanitaire adoptée contient avant tout des mesures économiques et surtout la possibilité de légiférer par ordonnance. Autant dire un blanc-seing donné à un gouvernement de technocrates pour achever notre modèle économique et social.

Les esprits ont donc été préparés par le discours présidentiel à un choc économique et les grandes lignes des mesures ont été annoncées, il ne reste plus qu’à les mettre en place.

La répression et le musèlement des discours dissidents

Bien qu’étant largement contestable, le confinement peut se comprendre au vu du retard et du manque de moyens de la France face à cette épidémie. Il n’en demeure pas moins que cela constitue un recul des libertés fondamentales. Tout contrevenant s’expose à 135€ d’amende et les récidives peuvent conduire à la case prison.

Côté liberté d’expression, il semble interdit de s’écarter de la ligne officielle. Le Professeur Didier Raoult, de l’IHU de Marseille, un des plus grands spécialistes mondiaux des maladies infectieuses, en a fait les frais en étant l’objet d’une campagne de dénigrement inouïe. Il préconise depuis le début de la crise un dépistage massif et un traitement précoce à la chloroquine, molécule bon marché utilisée depuis 70 pour différentes pathologies. Ce protocole a été vivement critiqué, ce qui n’a pas empêché le Professeur Raoult de tenir bon et de l’appliquer à Marseille. Finalement, le 26 mars, en catimini et avec une polémique nationale,  un décret est passé pour autoriser son utilisation à grande échelle.

Innovation notable, chacun peut désormais participer à la répression. En effet, une pratique semble ressurgir du passé : des Français appellent les forces de l’ordre pour signaler les sorties illégales de leurs voisins. Certains trouveront que cela est justifié en cette période exceptionnelle, d’autres pourront penser qu’il s’agit de délation. A chacun de se faire son avis.

Face aux manquements et aux dérives qui s’accumulent, dans un contexte social tendu qui risque de s’aggraver avec les mesures à venir, on peut redouter une nouvelle vague de contestation. Mais les Français ont eu un avant-goût de la répression dont est capable Macron avec plus d’un an de Gilets Jaunes et leurs vingt-cinq éborgnés et cinq mains arrachées. L’usage de la violence a réussi à dissuader beaucoup de manifestants.

Par rapport aux cas analysés par Naomi Klein, cette crise apporte deux innovations majeures : le choc initial est une pandémie et le contrôle de la contestation avait commencé avant la mise en place des mesures néolibérales. Le pouvoir a tiré les leçons du passé, la contestation est tuée dans l’œuf… pour quelques temps au moins.